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Interview – Rone: « Le complexe du mec qui ne sait pas lire la musique »

Rone, Erwan Castex de son vrai nom, a atterri sur la scène électro il y a cinq bonnes années avec le titre Bora puis l’album Spanish Breakfast. Depuis, ses lunettes rondes et son air lunaire sont allés rejoindre Berlin, où il a composé -toujours pour le label Infiné Tohu Bohu, petite perle electronica. Hypnotisant, lancinant, il s’assume enfin musicien. Et ça marche ! Le 8 juillet, il sort Tohu Bonus, édition deluxe du précédent album, avec des inédits. Encore mieux, Rone se paye même un Olympia le 31 octobre prochain.

American Spirit, café, lunettes (forcément) et ambiance décontractée, on l’a croisé à Paris.

Pourquoi ce nom, Rone ?

C’est une histoire à la con… Mon entrée dans la musique a été hyper rapide. Je faisais du son, mais je n’avais pas vraiment réfléchi à un plan de carrière… Sauf que quand le premier disque devait sortir, il a bien fallu trouver un nom. J’ai  pensé à R.One, vu que je m’appelle Erwan. C’était mon petit surnom depuis le lycée, le truc que je gravais sur les tables au Blanco. Mais ce n’est pas resté. Pour la première soirée officielle où je mixais, le graphiste a oublié de mettre le point. Finalement, ça rendait pas mal. J’ai été baptisé sur un accident (rires).

Tu dis souvent que ta musique est du « bricolage », tu as fait un album qui s’appelle Tohu Bohu… Bordélique, bricolée, tu n’aurais pas tendance à dénigrer ta musique par hasard ?

Non pas du tout, parce que j’aime bien le bricolage ! (rires) J’aime beaucoup les mecs qui arrivent à faire de la musique avec quelques notes de piano. Même en vidéo, les clips de Michel Gondry, au départ c’était du bricolage ! Je n’ai pas fait le conservatoire. Pendant longtemps j’ai eu le complexe du mec qui ne sait pas lire la musique. Je me sentais imposteur…

Ca va mieux ?

Oui, ça va ! (rires). Aujourd’hui, quand on me demande ce que je fais dans la vie, j’arrive à dire que je suis musicien. Mais quand je vois des potes comme Gaspar Claus qui fait du violoncelle comme un dieu, je me voyais comme un bricoleur. Mais j’aime ça ! Parfois, quand j’utilise des machines complexes, comme des énormes synthétiseurs pleins de câbles, je ne sais pas toujours ce que je fais. Je commence à comprendre comment ça fonctionne, mais le plus souvent c’est le l’expérimentation.

Du coup, c’est le bordel dans ton studio à Berlin ?

A Berlin ouais. Le premier album, je l’ai fait à Paris, il n’y avait presque rien : un petit ordinateur portable, un casque. C’est toujours un peu ça quand on fait de la musique électronique : le studio s’agrandit. Ce n’est pas vraiment un côté « collectionneur », je ne suis pas vraiment attaché à mes machines. Par exemple, je me dis que ça serait intéressant de faire le troisième album avec des machines totalement différentes. Peut-être qu’à 50 ans j’aurais une longue barbe et plein de synthé autour de moi, mais pour l’instant non (rires).

Ce qui est drôle, c’est qu’à Berlin, tout le monde se prête tout. Si tu passes dans mon studio, un jour, il y aura plein de machines et le lendemain ce sera vide.

Est-ce que tu pourrais nous raconter un peu l’histoire de Bora, le titre qui t’a fait repérer ?

C’est vrai que Bora est important pour moi. C’est mon premier morceau, j’y tiens. Quand je l’écoute aujourd’hui, il me paraît vraiment  « bricolé » pour le coup. C’est mal mixé, il est vraiment imparfait.

Mais c’est aussi parce qu’il y a la voix d’Alain Damasio (écrivain de science-fiction, notamment de La Horde du Contrevent). C’est un pote écrivain que j’ai rencontré un an avant de faire ce morceau. A l’époque, je voulais faire des films, je bossais dans une petite boite de production. J’ai eu de la chance parce qu’il y avait des fous qui croyaient en moi et qui m’avaient prêté un studio avec une table de montage et un fond vert. On avait le projet d’adapter un livre d’Alain Damasio. C’était très difficile, on s’est découragé, mais j’ai gardé l’idée dans un coin de ma tête. Quand j’ai fait Bora, au départ, il n’y avait pas la voix d’Alain. Il utilise un dictaphone quand il écrit ses bouquins. Il s’isole en Corse, mais pour ne pas devenir fou, il se parle à lui-même sur le dictaphone. Je me suis retrouvé avec 9 heures de bande où il se parle à lui-même (rires). Parfois il s’engueule, et parfois il est transcendé comme dans ce passage. Ça m’a vraiment touché, c’était exactement ce que je ressentais à ce moment là par rapport à la musique.

Rone – Bora

Après ce morceau, tout s’est enchaîné très vite. Flippant ?

Étonnamment c’est allé, ce qui est bizarre parce que je suis assez timide. Quand il fallait faire un exposé au lycée, je ne pouvais  pas, je séchais ou je vomissais pendant une semaine pour finalement ne pas y aller. C’est assez fou de me retrouver maintenant à faire des concerts alors que ce n’est pas dans ma nature. Quand j’ai fait le premier disque, c’est Agoria qui m’a appelé en me disant « tu joues dans deux semaines au Rex ». J’avais jamais joué devant qui que ce soit ! Heureusement j’ai dit oui, parce que je n’ai pas eu le temps de réfléchir. Pendant 15 jours j’ai travaillé comme un fou et j’ai fait un live que j’ai adoré. J’essaye de ne pas trop réfléchir parce que je ne ferais rien sinon, je dirais non à tout ce qu’on me propose par peur.

C’est pour ça que tu t’es exilé à Berlin ?

Non, c’était plus pour retrouver une stimulation que j’ai eu l’impression d’avoir perdu après le premier album. Bon ok, je voulais aussi fuir Paris. J’avais du mal à faire mon deuxième album et je mettais tout sur le dos de Paris. Je suis allé à Berlin et j’ai accouché de l’album beaucoup plus facilement. Aujourd’hui je vois ça différemment, ce n’est pas une question de géographie mais d’état d’esprit.

Comment est venue l’idée de faire Tohu Bonus ? Pourquoi ne pas avoir mis le titre Beast 2 sur Tohu Bohu, là où figure déjà Beast ?

C’est le label qui a proposé qu’on ressorte le disque, Tohu Bohu. C’était un peu étrange pour moi parce que quand les morceaux sortent, ça fait déjà 2-3 mois que je les ai finis, il y a un vrai décalage. Ressortir un disque, je trouvais ça difficile. On s’est dit que ce serait mieux de sortir des morceaux inédits. C’est presque comme un mini album, mais toujours lié à Tohu Bohu puisque j’ai retravaillé Let’s Go ou Beast.


Les clips ont une énorme importance dans ton travail. Tu as une formation plutôt axée cinéma. Tu n’as pas envie d’en faire un toi-même ?

J’aimerais bien en faire un, un jour. Mais je ne suis pas pressé. J’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis qui sont super doués pour la vidéo. Pour le troisième album, peut-être.

Les univers sont vraiment différents d’un clip à l’autre. Sur Let’s Go, Wild Edition, un mec en apesanteur se balade dans une maison un peu bizarre, tandis que pour Bye Bye Macadam, des petits personnages font une sorte de danse païenne…

Tous les clips que j’ai eu, ce sont à chaque fois des histoires d’amitié, voire même de famille. Le dernier, c’est le copain de ma sœur qui a travaillé dessus. Dimitri (Stankowicz), qui a fait le clip avec les petites nanas en noir et blanc, c’est un bon pote. Je savais juste que j’avais envie d’un clip en noir et blanc, après il fait ce qu’il veut.

C’est pas difficile de faire confiance comme ça ?

Non, pas du tout. Ce serait flippant si on me mettait en contact avec une boite de prod et qu’on me disait « tiens, il va faire ton clip, ça va être génial »

Rone – Bye Bye Macadam

Grand timide, tu préfères quoi ? Bosser dans ton studio ou jouer devant 2000 personnes ?

En fait, j’adore les deux. C’est un équilibre. Si je ne faisais que l’un ou l’autre, je deviendrais fou ! Le studio nourrit évidemment la scène, mais la scène peut nourrir le studio. Quand j’ai fait un bon concert, j’ai hâte de retourner en studio pour modifier les morceaux.

T’écoutes quoi en ce moment ?

Je découvre le nouveau Board Of Canada, le nouveau Jon Hopkins… J’essaye d’écouter ce qui sort. Daft Punk, j’y ai jeté une oreille aussi…

T’en penses quoi ?

Ah, ça c’est un débat. Je ne suis pas un énorme fan de Daft Punk, mais je trouve qu’ils se font attaqué un peu trop violemment, il y a quand même des choses intéressantes dans cet album. Mais bon… Je n’écoute pas trop non plus.

Ton plus grand défaut ?

Le truc qui me pourrit un peu la vie, ce serait mon anxiété.

Plus grande qualité ?

Euh… (on lui souffle générosité) Oui, générosité peut-être… Et modestie ? (rires)

Rone en trois mots :

Doute, expérimentation, contraste.

Rone – Let’s Go (Wild Edit)

Merci à Erwan et Virginie, c’est un plaisir de rencontrer un artiste aussi simple et modeste…

Crédit photo: Michela Cuccagna

5 réponses sur « Interview – Rone: « Le complexe du mec qui ne sait pas lire la musique » »

[…] Rone, je l’attendais avec impatience. En un an, il est passé du Trianon à l’Olympia, et entre deux, nous l’avions rencontré. Que de chemin parcouru depuis l’époque où il composait dans sa chambre avec son seul ordi. Pour son premier live, au Rex, il était terrorisé. A l’entendre au micro de France Inter quelques minutes avant de rentrer sur scène, rien n’a changé. Si ce n’est la ferveur du public. Dès les premières notes du violoncelle de Gaspar Claus, introduisant par une impro le titre Icare, la fosse applaudit à tout rompre. De quoi étonner, vu la prestation presque expérimentale, et le caractère austère de la mise en scène : une chaise, une lumière. Mais c’est mal connaître l’univers de Rone, où la simplicité cache toujours un talent fou. Quand il rentre sur scène, l’alchimie entre Erwan Castex (de son vrai nom) et son ami violoncelliste est palpable. Les panneaux lumineux dans son dos s’allume, le live est lancé. Poétique, puissante et savante, sa musique a quand même réussi à me surprendre, alors que Tohu Bohu et sa réédition Tohu Bonus occupent une bonne place dans mes albums favoris. Si en studio l’univers de Rone est onirique et assez calme, au bout du troisième morceau l’Olympia décolle. Flirtant parfois avec la techno, l’électro proposée en ce soir d’Halloween était tout sauf relaxante. […]

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