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Interview – Mike Ladd – Mai 2010

La sortie de « The Infesticons, Bedford Park », est l’occasion de rencontrer Mike Ladd ; un personnage du monde de la musique ; et pas n’importe lequel ; probablement le maître du spoken word, équivalent du slam version américaine ; discipline pour laquelle il a œuvré et œuvre encore aujourd’hui, tentant de la médiatiser, de lui donner ses lettres de noblesse.

On pourrait dire qu’il est poète, chanteur, écrivain, musicien… Il n’a pas qu’une casquette, il les collectionne.

C’est donc avec une curiosité particulière et la tête pleine de questions que je me rends au siège de « Ping Pong », pour tenter de mieux le connaître. Une dose de caféine, et c’est parti …

Peux tu te présenter ?
Mike, je vis à Paris depuis cinq ans, à cause de ma femme, merci beaucoup. Mon premier disque est sorti en 1997. Avant ça, je faisais déjà un peu de musique ; j’étais dans un groupe de punk rock dans les années 80 ; de 84 à 86. Après j’ai commencé le rap, que des freestyles, toujours. J’ai grandi à Boston dans un endroit ou il y avait beaucoup d’étudiants, donc tous les styles de musique étaient mélangés, reggae, punk, hip hop. J’ai été aussi batteur, mais pas très bon, donc ensuite chanteur.

C’est un peu par hasard que c’est devenu un métier ; j’étais prof de littérature à l’université. J’ai fait le premier « Infesticon » en 1999, mais j’ai pas complètement arrêté les cours ; je me suis plus concentré sur la musique. Je ne sais pas si c’était une bonne idée mais je l’ai fait quand même. J’ai fait les deux jusqu’à ce que je déménage ici…en fait, je continue avec une pote prof de français, je donne des cours de science politique. C’est sympa.

Est-ce que tu peux nous résumer l’histoire de cette trilogie « Infesticon » ?
Ok…dix ans avant, il y a un homme qui s’appelle « Puff Nana », il habite dans les Yonkers c’est la banlieue de New York, un peu bourgeois, mais un peu populaire en même temps ; à coté du Bronx. Il fait des robots avec un pote gamin ; ils font le cyborg « majesticon », mais Puff Nana l’oublie dans la cave de la maison de sa mère. Il part à l’université.

Un jour, sa mère jette le robot à la poubelle ; il est allumé par hasard. Il était programmé pour faire un attentat à New York ; faire une ville disco facho.

Les « majesticons » affrontent les « infesticons » à la frontière des Yonkers et du Bronx, à Gun Hill Road exactement. Les « infesticons » gagnent, mais tout juste. Ca, c’est le premier disque.

Le deuxième disque, les « majesticons » gagnent ; c’est la fête partout ; mais la guerre continue. 8 mecs, des soldats d’une marching band « infesticon » n’ont pas envie de se battre. Ils se cachent dans un blockhaus. Ils restent là, font de la musique ; font une démo. Puis ils sortent, 5 ans après la guerre. Tout a changé. Les gens s’en foutent de l’underground, les jeunes écoutent la musique horrible des années 80. Les « infesticons » sont perdus mais ils ont leur cassette, ça c’est le nouveau disque. Dedans il y a un morceau qui marche très fort sur scène…

Dans cette histoire, est ce qu’il n’y aurait pas un message caché ?
Oui, mais le message est un peu ambiguë. C’est un peu une critique de la vie bourgeoise.

La guerre est passée et tout le monde se fout de qui est en haut et qui est en bas. La seule chose qui reste, c’est la bonne musique. Le message c’est que les « infesticons » ont disparus un petit peu ; ils continuent à dire un message, mais la question c’est : pour qui ?

Est-ce qu’il y a une morale dans tout ça ? Si oui, laquelle ?
Ecoute ; la morale dans un sens c’est ça : j’ai fait un concert en Belgique ; et avant nous, il y avait un mec très sympa, qui chante très bien, du RnB. Il y avait plein de gens. La journée d’avant, j’ai vu « Jamie Lidell », qui fait du RnB ; il y avait moins de monde, mais tout le monde bougeait, il était bien aimé.

Je savais dans mon cœur que la musique que je faisais, c’était complètement moi. Ca fait longtemps que je fais de la musique et pas beaucoup d’argent, mais chaque nuit, je dors bien. La morale ce serait donc peut être : rester soit même, faire les choses qui te représentent vraiment. Après peut être que le prochain album sera un truc pop à la « Mika » (rire)

Comment tu pourrais qualifier ton dernier album ? C’est du hip hop… ?
Quand je l’ai fait, j’ai pris les mêmes sons qu’il y a dans le premier disque, par exemple même batterie. Dans tous mes disques, je mélange les styles.

Quand j’ai commencé, j’ai fait des mix tapes, pas de hip hop mais de mix ; mon premier album, je l’ai réalisé comme ça. Maintenant c’est comme dans les années 50 : single, single, single. Avec I tunes ça va dans tous les sens. Aux Etats-Unis, j’ai reçu de bonnes critiques mais les gens m’ont dit que c’était un bon album, mais pas vraiment un album. C’est comme une compilation ; mais maintenant, qui écoute vraiment un album ? La majorité des gens mettent l’ordi, et hop, ça choisit.

Je trouve cet album très visuel, comme un film. Est-ce que tu travailles tes sons avec des images en tête ?
Oui, mais pas intentionnellement. D’ailleurs beaucoup de gens me disent ça. En fait, avant je samplais beaucoup de soundtracks. C’est probablement resté ancré en moi.

Et aussi, quand j’écris, j’écris beaucoup de visuel. Je n’écris pas scolairement, je fais plus comme une peinture avec les mots ; c’est plus intéressant et plus efficace.

Pourquoi tu ne le sors qu’en vinyle et pas en cd ?
Déjà, chez moi, je n’ai que des vinyles. Big Dada m’a donné à choisir entre les deux. Je n’ai pas hésité, je préfère les vinyles, j’aime pas les cd’s.

La dernière fois que je suis allé aux Etats-Unis, tous les magasins de cd’s avaient fermés ; mais tous les vieux magasins de vinyles qui étaient là dans les années 80 étaient encore là.

En plus de trouver la qualité  du son meilleure, j’aime l’objet ; Quand j’étais petit c’était comme un monde, j’ouvrais la pochette, je l’observais. Je me souviens très bien de « Bitches Brew » de « Miles Davis », je l’ai regardé probablement cent fois, j’étais fasciné ; « Alice Coltrane », une pochette plein de couleurs, de visages ; « Hendrix » aussi, quand tu as 11 ans, c’est impressionnant.

Quels sont tes projets maintenant ?
On va faire une tournée  à partir de septembre dans toute l’Europe. On va aussi en faire une en juin aux Etats-Unis.

Tu parles bien français, est ce que tu n’as pas un projet en français ?
Je ne pense pas. La chose qui est bien avec l’anglais maintenant, c’est que personne n’en est propriétaire, les gens qui ont essayé de la garder ont perdu. C’est une langue qui s’est complètement cassée, qui se refait chaque mois. Ce n’est pas une langue figée. Bien sur, c’est une langue qui tue beaucoup d’autres langues, c’est une langue méchante, c’est une langue violente ; mais c’est une langue qui évolue et je pense que ce n’est pas la même chose avec le français, ce n’est pas encore arrivé. C’était la seule langue parlée dans toute l’Europe, jusqu’en Russie. L’anglais, c’était plutôt la langue des soldats, pas des rois. Mais le français est une langue intéressante qui commence à évoluer, parce que c’est inévitable.

D’ailleurs, j’aime bien travailler avec les artistes ici. Je travaille avec les « vieux » rappeurs, « Vicelow », « Kohndo », « D de Kabal ». On a fait un truc à la Boule Noir ; les vieux papis du rap en freestyle (rire).

J’ai fait aussi un truc avec « Casey », c’est ma préférée. On a fait un spectacle de « Shakespeare », « Timon d’Athènes », version hip hop, exactement le même texte mais un autre rythme, avec « Docteur L » de « Assassin » à la musique. « Shakespeare » c’est gangsta !

Si tu devais associer les termes Adn et musique ?
En fait, quand je me vois comme artiste, je suis dans la merde. Je déteste l’idée d’être un artiste. Je dis toujours que je suis un travailleur de la musique, la seule chose que je fais bien. C’est naturel, c’est dans mon Adn. Pourtant je ne suis pas issu d’une famille de musiciens.

Comment tu es venu à la musique alors ?
J’avais juste envie. Ma mère n’était pas d’accord, mais ça s’est fait comme ça. La musique a changé ma vie quand j’étais jeune. Je crois que la majorité des musiciens refont ce qu’ils ont écouté la première fois ; pas la même musique, mais la même expérience.

Pour moi, ma première expérience avec la musique, c’était avec un vinyle, tout seul ; pas dans une boite, pas dans une fête. Mon premier déclic, c’était « Jimmy Hendrix ». J’étais chez ma mère, dans une grande chaise, énorme, style 70’s. J’ai trouvé le disque, j’ai mis le casque, et là, boum…ça a changé ma vie.

Avant ça, il y avait probablement deux autres choses, quand j’étais petit. Je passais beaucoup de temps avec ma tante ; la maison était pleine. Mon vieux cousin était dans la chambre juste au dessus de la pièce avec la télé ; et il jouait toujours « Kool and the Gand », « The Commodores », « Shalamar »… ; donc toujours ce poum tchac, poum tchac, dans ma tête ; la basse et la batterie à travers les murs.

L’autre chose, j’étais tellement petit ; probablement 6/7 ans. Je mettais « Sergent Pepper Lonely Hearts » et je faisais un spectacle avec tous mes animaux ; une petite histoire ; et à chaque fois, quand arrivait « A Day In A Life », c’était tellement triste que les animaux pleuraient.

Ce sont probablement les trois moments clés qui m’ont ammenés à la musique.

… C’est un peu frustré que je quitte ce sacré personnage, j’aurais aimé discuter plus longtemps tant il est intéressant et intarissable. On sent qu’il aime parler, partager ses expériences, son amour pour la musique ; sans censure. Il ne tente pas de séduire, ou de vendre un quelconque produit.

Il est venu en toute simplicité, plein d’humour et d’autodérision. Il dit lui-même qu’il ne se voit pas comme un artiste, et pourtant…

Un grand merci à Mike Ladd pour cet entretien ; ainsi que François et Aurélien de Ping Pong.

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