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Interview – Peter Von Poehl

A l’occasion de la sortie de son album Big Issues Printed Small et de son concert ce lundi 15 avril 2013 à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, nous avons pu discuter avec l’auteur-compositeur Peter von Poehl. Dans le décor froid du Palais de Tokyo, rencontre avec un artiste paradoxal et attachant.

Adnsound: Tu as travaillé sur les bandes originales de L’arnacoeur ou des films de Valérie Donzelli… C’est plus simple de travailler sur un film ?

Peter von Poehl: Oui, beaucoup. Je ne devrais pas le dire mais c’est presque injuste à quel point c’est simple par rapport à faire un disque. J’ai peut-être eu la chance de travailler sur des images qui m’inspiraient… Parfois c’est comme si les notes se plaçaient toutes seules.

Comme dans la scène finale de La guerre est déclarée

J’aurais bien aimé que ce soit grâce à moi que cette scène est aussi bien, mais malheureusement non. C’est un titre que j’avais déjà composé que Valérie a repris. Elle a un vrai talent pour monter sur la musique.  Et même quand je compose sur ses images, elle refait un montage par-dessus, et quand je regardais le résultat, tout est mieux ! J’en suis à penser « mais elle est géniale cette musique en fait, c’est vraiment de moi ? ».

The Bell Tolls Five, utilisée dans la scène de fin de La guerre est déclarée.

Ca te plaît qu’on bidouille tes musiques ?

J’adore, évidemment ! J’ai une approche assez collective de la musique. L’écriture c’est souvent assez solitaire, j’aimerais bien que ce soit un peu plus partagé. Du coup, tout ce qui peut me faire sortir de mon petit bureau, j’en suis ravi !

Pourtant, tu as composé ton premier album complètement seul, en huit clos…

C’est vrai, c’est assez contradictoire. Mon premier album, je l’ai beaucoup fait tout seul. J’habitais à Berlin à l’époque, et j’enregistrais beaucoup dans mon appartement ou alors dans le studio où j’avais l’habitude d’aller. Je faisais quand même venir les copains pour les arrangements, très improvisés. En fait, Going where the tea-trees are paraît organisé mais ce n’est pas du tout le cas ! Je recherchais quand même l’idée de « famille » autour d’un disque. J’ai jamais eu de groupe, c’est peut-être pour ça, je suis frustré (rires).

Et tu as préparé ton nouvel album pendant des mois, mais il n’a été enregistré qu’en une seule journée… Paradoxal ?

Complètement, ça ne fait aucun sens. Sur cet album, tout était sur partition, même le moindre triangle. C’était long, parce qu’on écrivait tout en fonction des concerts. Sauf que payer un concert avec 40 musiciens, ce n’est pas forcément évident (rires). Du coup avant d’avoir toutes les partitions de tous les instruments, ça a été un peu long… Au bout d’un moment, je me suis dit « aller, maintenant, faut y aller ».
Je voulais les moyens techniques les plus basiques. Soit la prise était bonne, soit on refaisait. C’est un peu comme un polaroid, on ne peut pas revenir en arrière.

Avec ces prises « polaroids », tu te retrouves dans une certaines nostalgie (et sans autotune !)…

Ah ça c’est sur ! J’ai commencé assez tard à faire des disques. Avant, j’étais dans les studios, en tant que réalisateur, qu’ingénieur du son… Aujourd’hui je veux peut-être moins de contrôle sur la technique. Encore une fois, c’est paradoxal. J’écris tout, mais je ne veux pas contrôler. C’est ça aussi qui me plaît dans toute démarche artistique. C’est que c’est complètement absurde. On déploie des années de travail pour un résultat absurde. C’est tellement important, mais ça n’a aucune importance…


Going where the tea-trees are, ton premier album, est très axé sur la Suède. Le deuxième, May Day, garde un concept, l’idée d’espace, d’amplitude. Pour ce troisième, qu’est-ce que tu as voulu exprimer ?

J’ai toujours été attaché de manière maladive, névrotique, aux mots. Sur le premier, ils étaient au cœur de l’album. Sur le deuxième, j’ai demandé à quelqu’un d’autre d’écrire les paroles, ça me permettait de m’échapper à moi-même, en quelque sorte. Bizarrement, sur Big Issues, les mots arrivaient très facilement, ça parle de beaucoup de sujets différents. C’est mon analyse à deux francs, mais je crois que c’est peut-être le fait d’avoir eu un contact avec le cinéma. Aujourd’hui les chansons ne racontent plus une histoire, il n’y a pas de début et pas de fin, ce sont des arrêts sur images. Comme si on était dans un plan fixe pendant 3 minutes.

Tu t’affranchis des codes au fur et à mesure de tes albums. Un premier album au concept très cadré, deuxième un peu moins, troisième encore moins. Pourtant, la forme reste toujours la même…

C’est tout à fait volontaire de rester dans cette forme pop. J’aime bien être dans un cadre assez précis, on peut le remplir avec tout ce qu’on veut. Après, dans le cinéma c’est différent. Je dois préparer une musique de 38 minutes en ce moment. Mais je t’avoue que sur un CD, j’aime le format classique couplet/refrain. J’ai grandi avec cette forme.

Justement, qui a pu te marquer musicalement ?

Vraiment les basiques. Déjà je n’ai pas énormément de disques, je n’ai jamais été un grand consommateur et j’ai des goûts extrêmement classique. Je m’inspire d’autres trucs. J’ai toujours été un grand fan d’art contemporain, et de cinéma. J’ai fait de la musicologie pour m’y connaître un peu plus, je n’y connais toujours pas grand chose, mais je crois que ce n’est pas trop grave (rires).


Tu t’épanouis plutôt en solo ou en back-up ?

Ce sont deux approches très différentes. Je suis bien quand je fais les deux. Je l’avais un peu regretté ces dernières années, à partir de mon premier disque, de n’avoir pratiquement pas pu faire de studio. J’étais tout le temps en tournée. Entre 2006 et fin 2009 je n’avais pas arrêté, j’ai du refuser pas mal de projet. C’est différent d’être sur le siège du conducteur ou du passager, les deux sont chouettes.

Ca fait peur de se lancer tout seul, tu le disais au moment du premier album. Tu as toujours cette sensation ?

C’est plus risqué pour plusieurs raisons. Déjà, je produis mes disques moi-même, aucune maison de disque sur terre n’accepterait de les produire (rires), surtout vue la façon dont je les fais, avec autant de musiciens. Ce que je fais n’est pas cohérent, pas logique. En les faisant moi-même, j’ai le droit de ne pas être logique.

Tu gardes une liberté totale de création, quitte à prendre des chemins inhabituels. Par exemple, tu es parti de la pochette pour trouver le titre du disque, ou l’inverse ?

Je voulais que ce soit cette pochette. Je cherchais inconsciemment –non ok, consciemment- un titre qui irait avec. Quand j’ai fait la chanson Big Issues Printed Small, c’était évident.

Ton univers en trois mots ?

Voilà un bon exercice… Mais c’est difficile !

C’est à la fois très organisé -on y revient- ou en tout cas je l’aimerais. Un peu comme les petites maisons scandinaves, très rangées, avec les propriétaires de la maison qui veillent sur leur petit jardin.
Mais c’est complètement désorganisé. C’est le désordre total, c’est pire que ma chambre d’enfant qui était vraiment très bordélique.
Le troisième mot, c’est forcément… Incohérent.

Oui, organisé, désorganisé, incohérent.

Peter von Poehl – 28 Paradise

Crédit photo: Michela Cuccagna

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